Prévention primale

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La synthèse

0ù les deux ordres d’observation différents (l'épidémiologique et l'épigénétique) précédemment présentés se fertilisent l'un l'autre au point que, tôt ou tard, un programme de santé publique radicalement nouveau finira par s’imposer.

Il n’y a guère de doute là dessus: si Wilkinson et Pickett avaient été aussi impliqués dans le domaine épigénétique qu’ils le sont dans celui de l’épidémiologie sociale, ils auraient d’emblée formulé leur hypothèse différemment. Au lieu de s’en tenir à l’hypothèse générale d’une incidence du stress sociétal sur la santé des individus tous âges confondus, ils n’auraient pas manqué d'opérer une synthèse entre leur observation d’une part, et le savoir épigénétique d’autre part. Ils auraient alors pu considérer le fait que l’état de santé moyen de chacune des sociétés qu'ils avaient prises en compte pouvait n'être que le reflet tardif des conditions de vie primale de chacun des individus composant cette société au moment de l'étude . 

Comme la période primale d'un humain est celle où l'impact d'un stress chronique est certainement le plus lourd de conséquences, l'hypothèse qui s'impose est la suivante : chacun de nous doit sa santé avant tout à la façon dont, à l’époque critique, ses géniteurs ont pu (et su) se protéger – et donc le protéger – du stress auquel eux-mêmes étaient exposés. Or dans un monde où les nouveaux parents courent de plus en plus le risque de souffrir du stress sociétal aussi longtemps que leur statut professionnel/économique reste précaire, ils leur est difficile d'assurer les conditions nécessaires au bon développement primal de l'enfant qu'ils vont concevoir. On en a déjà observé les effets dans un pays à forte inégalité, les Etats-Unis, sous la forme d'un accroissement extrêmement rapide de l'incidence des maladies mentales infantiles entre 1987 et 2007. On en augure hélas une progression à venir de la proportion de bénéficiaires d'aides sociales pour cause de handicap psychique bien plus rapide encore que celle, de un sur 184 à un sur 76, qui a prévalu pendant cette même période 1987 à 2007 [127].

Résultats et hypothèse sont cohérents avec le fait que ni les inégalités, ni le stress sociétal qui en résulte, ne sont des nouveautés – au moins à l'échelle d'une vie – dans les sociétés recensées par les auteurs de l'étude épidémiologique. De fait, le stress sociétal des sociétés avancées existe dès les débuts de l’ère industrielle. Au milieu du XIXe siècle, par exemple, les ouvrières des usines textiles de l’est du Massachusetts parlaient déjà, dans des journaux qu'elles éditaient elles-mêmes, d’un «esclavage salarial» [31], une forme de «servitude volontaire» [32] à laquelle, à l’époque comme à nouveau aujourd’hui, la plupart ne pouvaient échapper. Cela devait rester le cas aussi longtemps qu'une minorité continuerait, à chaque époque où la majorité lui en laisserait la possibilité, d'accroître sa mainmise sur les ressources humaines et sur celles de la planète, qu'il s'agisse des terres et des mers et de tout ce qui peut en être tiré ou y être rejeté impunément. Cette mainmise impose à la majorité une contrainte toujours plus sévère. Une contrainte qu'illustre bien ce bref échange entre deux personnages d'un célèbre roman de Quinn [33]: à Ishmael qui vient d’affirmer qu’il «n’y a qu’une façon de forcer des gens à accepter une vie intolérable», Julie répond «Oui, vous n’avez qu’à mettre la nourriture sous clef».

Indépendant des effets généraux du stress sociétal lié aux inégalité des revenus – auquel nous sommes tous exposés dès notre conception [34] – un autre handicap, qui lui non plus n’est pas nouveau, est celui, individuel, du statut socio-économique défavorable. Il est supposé n'affecter la santé que dans les classes les moins favorisées de la population, lesquelles auraient un accès limité aux soins médicaux. Or on observe que ses effets sont tout aussi marqués au Royaume Uni, où pourtant la médecine est en principe accessible à tous [35], que dans le reste du monde industrialisé. Ce qui pose la question de l'origine de ce statut défavorable: si celle-ci n’est pas économique dans le présent, ne le serait-elle pas plutôt dans le passé? Un passé où les futurs parents – l'un et l'autre astreints au travail – manquaient de temps pour assurer à leur enfant à venir un environnement humoral-tactile-affectif favorable? Si tel est le cas nous devons conclure que la transmission du handicap socio-économique d’une génération à l’autre, à savoir le manque de mobilité sociale, est en réalité la transmission d'un handicap primal.
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