Prévention primale

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Une thermodynamique du vivant

En guise de prémisse à la solution du problème principal – à savoir comment épargner de l'argent et du temps pour assurer la santé primale [62] de l'enfant à venir – on peut s'intéresser à l'origine de la "logique de dépossession" qui aboutit à une asymétrie fondamentale entre employés et employeurs ?

Un organisme vivant se nourrit son environnement pour en tirer l’énergie (chimique, et solaire s’il est capable de photosynthèse) qui en assure, et la croissance (au prix de la dissipation presque totale de la part de cette énergie qui lui est dévolue), et l'entretien (au prix de la dissipation totale de la part de cette énergie qui lui est dévolue), et enfin ce qu'on désigne de façon assez floue par son "travail extérieur". De façon plus abstraite mais non moins réelle, «ceux qui prennent» [58] exploitent leur environnement – lequel comprend leur environnement humain – pour en tirer un équivalent d'énergie, aujourd'hui principalement sous forme monétaire. On va voir comment, pour ceux-là, cette forme d'appropriation d'énergies tirées de l'environnement assure, et la croissance de leur capital (au prix de la dissipation presque totale de la part d'énergie qui lui correspond), et leur entretien (au prix de la dissipation totale de la part d'énergie qui lui correspond), et leur "travail extérieur". Sur le plan individuel, qu’il s’agisse d’une personne en chair et en os ou d’une «gigantesque personne immortelle» [48], son pouvoir économique est alors l'équivalent monétaire d’une grandeur thermodynamique propre à chaque être vivant. Cette grandeur, qui correspond à la moyenne de sa dépense énergétique totale par unité de temps, est appelée ici dissipation de puissance individuelle (DPI).

S’il m’a semblé utile d’introduire la notion de DPI pour éclairer l’origine de la contrainte imposée au reste du monde par «ceux qui prennent», c’est à cause d’une propriété générale des organismes vivants. Plus l'emprise d'un organisme sur son environnement est grande, plus grande est sa DPI. En guise de premier exemple, au passage évolutif d’animaux à sang froid à des animaux à sang chaud a correspondu une plus grande efficacité de déplacement et d'exploration individuelles dans la quête de nourriture. Plus tard dans l'évolution, en parallèle avec un développement cérébral sans précédent et les nouveaux pouvoirs d'action qui lui étaient associés, les premiers primates ont joui d'un rendement accru d'une part proprement vitale de leur budget temporel: la part diurne dévolue à cette même quête d'énergie sous forme de nourriture [63]. Et tout récemment encore, on a observé que la DPI est de 27% supérieure chez l'humain à ce qu'elle est chez les autres hominiens, une part de cet excédent étant dévolue au maintien d'une plus grande réserve énergétique sous forme de graisse [64]. Ces trois exemples illustrent qu'au surcroît d'énergie récoltée, par rapport à un individu d’une autre espèce - ou de la même espèce - moins apte à tirer son énergie alimentaire de l’environnement, correspond nécessairement une dépense énergétique accrue: activité plus coûteuse, entretien plus coûteux incluant le maintien d'une réserve énergétique plus grande. Chez Homo sapiens – on a donné ici un bon coup d’accélérateur à l’histoire des primates – la possibilité d’accroissement de sa DPI s’est encore vue amplifiée par le truchement de monnaies d’échange. L’accumulation de biens que ces dernières permettent d'acquérir – soit le capital, qui n'est autre que l'équivalent d'une réserve énergétique – a permis à certains individus d’amorcer une progression pratiquement non limitée de leur mainmise sur les ressources naturelles, lesquelles incluent une part de la DPI de leurs congénères. L’inégalité de DPI – plus exactement de son équivalent monétaire – instaurée entre eux-mêmes et les autres par «ceux qui prennent» a atteint des sommets depuis la suppression progressive des freins à la croissance du capital ainsi qu'aux modifications de son usage – et de sa nature même – dès les années quatre-vingt du siècle dernier [65]. Ce capital et la répartition planétaire particulièrement sélective de la DPI qui s’y rattache sont responsables de deux fléaux, dont le principal est la misère économique d’une grande partie des humains. L’autre étant l’accroissement, depuis plus de trente ans, du stress sociétal dû à l’inégalité des revenus dans les pays développés. Ces fléaux sont inhérents à la capacité proprement terrifiante d’adaptation de la majorité des humains aux conditions de vie qui leur sont imposées par l’avidité d’une minorité. Ceci est vrai même dans les sociétés démocratiques, du fait que les rapports d’individu à individu s’y sont appauvris à mesure que se sont généralisés des modes de vie et habitudes de consommation qui isolent et favorisent la résignation [66]. Certes, il y eut maintes luttes ouvrières, grèves générales, tentatives de révolution et manifestations non violentes (dont celles évoquées plus haut [60]) où des travailleurs qui affrontaient ensemble l'ordre établi se sont parfois trouvés, individuellement, face à face avec d’autres travailleurs censés le défendre. Mais ce furent là des exceptions.

Le mécanisme d’amplification de la DPI liée au capital est simple. Que l’entrepreneur soit de chair et d'os ou «gigantesque personne immortelle», son pouvoir économique est nourri par la somme des parts de DPI qui alimentent son "compte" à partir des ressources naturelles, dont ses employés sont partie intégrante. Les parts de DPI qu'il tire de ses employés correspondent très exactement aux plus-values monétaires absolues et relatives définies par Marx. Ainsi, pour une «gigantesque personne immortelle» qui contrôle pratiquement toute une chaîne d’opérations productives, cette part 'humaine' de l'accroissement de sa DPI liée au capital correspond à la somme des plus-values constamment fournies par la foule potentiellement illimitée des personnes qui travaillent à cette chaîne. Elles le font chacune dans son domaine d'expertise: de l'extraction minière au transport et à la purification des matières brutes; de la culture du sol et des récoltes aux conditionnement, distribution et vente des produits; de la construction ou production de biens les plus divers à leurs promotion, distribution et vente; du recyclage ou de la destruction des productions en excès au traitement des déchets qui en résultent; des légitimation, organisation et renforcement de toute la chaîne à "l'optimisation" des temps de travail et des salaires ainsi qu'à la soustraction des revenus au contrôle des autorités fiscales. Voilà pour l’économie dite réelle, dont la financiarisation est en train aujourd’hui de s’émanciper par la création de valeurs fondées sur l’anticipation d’une exploitation de l'environnement commun et d'une production à venir. Le risque inhérent à cette dernière invention, à savoir l’effondrement du capital fictif correspondant [67], s’est trouvé jusqu’ici limité par un processus pervers de sauvetage par les États. Processus pervers en ce sens que, eu égard à l’affaissement de la progression des taux d’imposition en fonction du revenu, il opère au détriment des petits, des moyens et même des grands contribuables, toujours et encore  au profit des «gigantesques personnes immortelles». Jusqu’où? Jusqu’à quand?

L'asymétrie fondamentale: les salariés se voient donc dépossédés au profit d’autrui d’une part de leur DPI en tant que travailleurs [68]. A l’opposé, les indépendants s’approprient une part de la DPI de chacun de leurs employés. Historiquement, au delà de sa seule fonction de facilitateur d'échanges, l’argent a donc contribué à ce que s'impose – et finalement explose – cette asymétrie, elle-même à l’origine de deux pôles idéologiques diamétralement opposés. D'un côté celui du droit, selon lequel chacun aurait le droit de jouir de la totalité de sa DPI et de ne pas voir celle-ci diminuée par l'emprise d'autrui sur l'environnement commun. De l'autre celui de l’intérêt, selon lequel chacun serait, de surcroît, libre de s’approprier une part de la DPI d’autrui, tant directement, qu'indirectement par son emprise sur la qualité de l'environnement commun.
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